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Mettre en lumière le Moyen Age, tout un problème

Dans le cadre de la première édition du festival du film médiéval qui débutera mercredi 24 octobre, Léa Hermenault, doctorante en archéologie médiévale et membre de l’équipe du festival, propose un article sur l’utilisation de la lumière dans les films traitant de la période médiévale.

Dans son l’article « Y a-t-il une vision filmique de l’Histoire ? » paru dans le recueil Cinéma et histoire en 1977, Marc Ferro indique qu’il existe plusieurs façons de considérer un film historique. La plus courante, écrit-il, est « de vérifier si la reconstitution est précise », et « d’observer si les décors et les extérieurs sont fidèles et les dialogues authentiques »[1], autrement dit, il s’agit d’examiner le savoir-faire du cinéaste. Une autre approche consiste à étudier l’idéologie du film ou bien le discours historique produit par celui-ci.

En effet, comme le dit Antoine De Baecque, la forme cinématographique est intrinsèquement historique, soit parce qu’elle illustre la vision couramment acceptée à une période donnée de l’état d’une situation actuelle ou passée, soit parce qu’elle propose un autre angle de vue ou bien une autre vision des choses : dans tous les cas, il y a production, consciemment ou non, d’un discours historique. Etant donnée la force pédagogique des images, le cinéaste est non seulement un historien privilégié, mais également un historien doué d’un pouvoir de persuasion très important : quels sont les premiers souvenirs qui nous assaillent lorsque nous pensons au naufrage du Titanic par exemple ? Il est probable que pour de nombreuses personnes, ce sont certaines images du film de James Cameron. De la même façon, quels sont les images qui viennent en tête lorsque nous pensons à Jeanne d’Arc ? Selon la génération à laquelle on appartient, on pensera au film de Dreyer, celui de Bresson, celui de Rivette ou celui de Besson. Le cinéma participe à la construction de notre imaginaire et, dans le cas des films dits « historiques » à notre vision du passé.

Le cinéma n’est évidemment pas le seul médium visuel de diffusion d’images historiques. La littérature l’est aussi[2]. Et on ne peut pas ne pas évoquer les fameuses vignettes à la manière de Lavisse et autre images d’Epinal qui ont forgé l’imaginaire historique de nombreuses générations d’écoliers.

Afin d’identifier et de comprendre les discours historiques émanant des films, il faut repérer les éléments cinématographiques sur lesquels reposent ces discours et donc étudier la construction des images : on peut alors examiner les différents types de cadrages, étudier la bande-son, repérer les mouvements de caméra ou encore observer l’utilisation de la lumière et des éclairages.

C’est sur ce dernier élément que portent les quelques observations qui suivent : afin d’étudier et de comprendre une partie de l’évolution du discours produit sur le Moyen Âge au cinéma, j’ai choisi de m’intéresser à l’évolution de l’utilisation de la lumière dans sa dimension atmosphérique[3] dans quelques films dont l’action se déroule au Moyen Âge. Le corpus de films pris en compte n’est évidemment absolument pas exhaustif. Les observations suivantes demandent donc à être nuancées.

Cet intérêt pour l’éclairage par d’un constat, celui de l’évolution de la « mise en lumières » de la période médiévale. Pour prendre la mesure de cette évolution, concentrons-nous sur deux exemples extrêmes.

Voici un photogramme tiré du film Les aventures de Robin des Bois, tourné en technicolor en 1938, réalisé par Michael Curtiz et William Keighley.

Les aventures de Robin des Bois, réalisé par Michael Curtiz et William Keighley

Ci-dessous, une scène de reconstitution extraite du film documentaire Métronome, épisode 2, adaptation du « best-seller » de Lorànt Deutsch. Le documentaire est réalisé en 2011 par Fabrice Hourlier et diffusé au printemps 2012 sur France 5.

Métronome, épisode 2, 2011, Fabrice Hourlier, France 5

Dans le premier cas, une procession de chanoines, parmi lesquels se trouvent Errol Flynn, marche en direction du château du roi Jean. Le ciel est bleu, la luminosité est très bonne et l’atmosphère est plaisante voire tranquille.

Dans le second cas, il s’agit d’une image reconstituée destinée à illustrer les paroles de Lorànt Deutsch qui intervient en voix-off : en l’occurrence elle est là pour illustrer la densité du tissu urbain à proximité de la cathédrale. La seconde image procède d’une reconstruction totale, elle est tout autant l’illustration des paroles de Lorànt Deutsch que celle de l’idée que se font les graphistes du Moyen Âge (le réalisateur n’indique pas avoir fait appel à des « consultants historiques » autres que Lorànt Deutsch pour mettre en image l’histoire parisienne : ce sont donc bien les graphistes et peut-être dans une moindre mesure Lorànt Deutsch qui sont à l’origine de la construction de ces images). De son propre aveu, le réalisateur dit avoir utilisé la lumière selon l’intensité dramatique de l’idée qu’elle vient illustrer[4]. Pourtant, bien que les paroles illustrées par cette image ne soit pas particulièrement négatives (bien au contraire même !) la scène est quasi apocalyptique ! L’atmosphère est très sombre et oppressante. Ceci pourrait-il s’expliquer par le fait que la scène se déroule la nuit ? Mais dans ce cas, qu’elle est cette lumière qui surgit entre les deux tours de la cathédrale ? La lune ? Avec une telle intensité, c’est peu probable. La lumière divine ? Pourquoi pas. Cette faible luminosité a tendance à grandir la cathédrale, à la rendre fantomatique et très impressionnante. C’est peut-être ce caractère monumental que les graphistes et l’équipe de production dirigée par Fabrice Hourlier ont voulu mettre en valeur… même si cela devait impliquer l’installation d’une ambiance aussi lugubre.

Comparons ces deux images. Les scènes se passent à peu de choses près à la même période (XIIIème-XIVème siècle), les climats météorologiques sont du même type (le bois de Sherwood et Paris ne se trouvent pas à des latitudes si éloignées) et pourtant, les atmosphères reconstruites diffèrent du tout au tout. Ce sont bien deux visions du Moyen Age que l’on fait s’affronter ici : un Moyen âge-spectacle d’un côté, un moyen âge-ténèbres de l’autre. Comme l’écrit Jacques Aumont « La lumière est une donnée brute, immédiate, minimale de notre perception du monde, mais le cinéma se contente rarement de la reproduire en tant que telle, et préfère toujours s’en servir comme d’un opérateur de signification, d’émotion, d’étrangeté voire d’estrangement. »[5]

Voyons donc plus précisément quelle utilisation il est fait de la lumière dans les films dont l’action se déroule au Moyen Âge.

Fabrice Revault d’Allonnes classe en trois grands mouvements les utilisations que l’on peut faire de la lumière au cinéma : classique, baroque et moderne. L’approche classique vise à utiliser la lumière de façon sur-signifiante (le cinéma des expressionnistes allemands par exemple). L’approche baroque va plus loin que l’approche classique et cherche à exacerber et transcender les codes lumineux en n’affectant à la lumière non pas un sens mais plusieurs à la fois (cinéma de Stenberg par exemple). L’approche moderne, au contraire des précédentes, ne cherche pas à travailler la lumière de façon à produire des métaphores ou bien des représentations, mais à tendance à ne pas intervenir sur elle, voire à neutraliser tout effets lumineux (cinéma de Godard par exemple). Les approches ne se succèdent pas dans le temps mais coexistent tout au long du siècle. Nous réutiliserons cette classification dans les quelques observations qui suivent.

Le cinéma « moderne » : années 1930-1950

Fabrice Revault d’Allonnes remarque que le cinéma colorisé américain postérieur aux années 1930, dans une tendance « académisante » selon ses propres mots, utilise l’approche « moderne » de la lumière. Le procédé Technicolor requiert énormément de puissance d’éclairage et parce qu’il est nécessaire que les acteurs soient toujours bien visibles, les scènes sont très éclairées même si cela doit se faire au prix d’incohérences avec le décor : la lumière atteint une certaine neutralité parce qu’elle ne hiérarchise plus rien du fait de l’omniprésence de sa puissance.

Examinons deux films emblématiques de cette période dont l’action se déroule au Moyen Âge : Les aventures de Robin des Bois (1938, Michael Curtis) et Prince Vaillant (1954, réalisé par Henri Hathaway et projeté dans le cadre du festival « Bobines et parchemins »).

Les scènes d’extérieur

Les aventures de Robin des Bois, M. Curtis, 1938

Sur ce plan, l’éclairage est tout à fait irréaliste : la source lumineuse qui éclaire Errol Flynn se trouve en contrebas et devant lui, alors même qu’il se trouve sous des branches d’arbre. Par ailleurs, le dégradé de couleur du ciel semble nous indiquer qu’une source lumineuse provient également de l’arrière-plan : la lumière n’est pas signifiante car omniprésente.

Les aventures de Robin des Bois, M. Curtis, 1938

La lumière de ce plan est très intense. Très peu d’ombre apparaissent à l’écran. La scène est saturée de couleurs. On retrouve cette même luminosité sur le plan qui suit et qui est extrait cette fois-ci de Prince Vaillant.

Prince Vaillant, H. Hathaway, 1954

Scènes d’intérieur

Pour ce qui est des scènes d’intérieur, les effets de mise en lumière sont encore plus évidents qu’ils ne l’étaient pour les scènes d’extérieur. En effet, l’architecture intérieure du château est figurée par de grands murs aveugles et en pierre. Pourtant, très peu d’ombres sont repérables dans les scènes qui suivent car elles sont très éclairées.

Les aventures de Robin des Bois, M. Curtis, 1938

Les aventures de Robin des Bois, M. Curtis, 1938

Face à cette luminosité forte et irréaliste (ce ne sont pas les quelques torches et chandelles qui peuvent apporter une telle luminosité) qui n’apporte pas, a priori, de sens supplémentaire à ces scènes, on peut opposer l’architecture sombre et terne des éléments du château :

Sur le plan suivant, le lierre qui grimpe le long des pieddroits de la fenêtre rappellent les représentations romantiques des ruines médiévales telles qu’elles étaient peintes au XIXème siècle[6]

Les aventures de Robin des Bois, M. Curtis, 1938

Si le décor semble très influencé par l’imaginaire du XIXème siècle, la mise en lumière, elle, est très moderne et liée en grande partie aux contingences techniques des années 1930-1950.

La vision du Moyen âge qui ressort de tout ceci peut apparaître contradictoire : un monde plein de couleurs et de lumières dans un environnement terne et sombre.

Les années 1960-1970

Dans les années 1960-1970, c’est encore l’approche « moderne » de la lumière qui semble être préférentiellement utilisée. Cependant, cette fois-ci, l’approche « moderne » se caractérise non pas par une sur-exposition, comme c’était souvent le cas pour les décennies précédentes, mais plutôt par une lumière moins travaillée, plus naturelle ou bien même neutralisée. Un des meilleurs exemples en est peut-être le film Lancelot du Lac, sorti en 1974 et projeté dans le cadre du festival « Bobines et Parchemins ». Son réalisateur, Robert Bresson, écrit alors à peu près au même moment que « la beauté [du] film ne sera pas dans les images (cartepostalisme) mais dans l’ineffable qu’elles dégageront ». Il indique également ne pas rechercher « de belles photos, de belles images, mais des images, de la photo nécessaires »[7]. Dans sa recherche de sens, Robert Bresson ne cherche pas à utiliser la lumière de façon artificielle et préfère que le discours historique de son film émane de la composition des images, du cadrage et du montage.

Un retour à une approche « classique » de la lumière : la production américaine des décennies 1980, 1990 et 2000

Dans les années 1980-2010, il semble que la production cinématographique américaine dont l’action se déroule à la période médiévale soit marquée par un retour à une approche plus « classique » de la lumière, c’est-à-dire à une utilisation de la lumière comme supplément de sens.

Ce regain d’intérêt n’est sûrement pas sans avoir de lien avec des évolutions techniques importantes. Les pellicules couleurs n’ont cessé de gagner en sensibilité et les projecteurs (apparition de la gamme des HMI) facilitent le travail hors studio en permettant l’installation d’une lumière blanche-bleutée froide et présentant un très bon rendement lumineux. Ces techniques permettent d’enregistrer de subtiles nuances lumineuses obtenues par le travail de la lumière naturelle.

Les scènes de l’aube

Cet intérêt pour un rendu plus « naturel » de la lumière n’est peut-être pas sans avoir de lien avec la multiplication des séquences de films tournées dans une lumière correspondant à celle de l’aube : une lumière pale, fraiche et légèrement bleutée. De très nombreux films dont l’action se déroule à la période médiévale contiennent au moins une séquence tournée avec une lumière qui correspond à ce moment de la journée.

Prenons l’exemple du film de Ridley Scott, Kingdom of Heaven (2005). Au début du film, l’action se déroule en France : un seigneur anglais part à Jérusalem et vient chercher son fils qui est forgeron dans un village français. Par la suite, l’action se déroule à Jérusalem et ses environs. Les scènes qui sont censées se dérouler en France sont presque toutes tournées soit à l’aube, au coucher du soleil ou bien dans la nuit.

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Ridley Scott et son équipe ont très certainement cherché à renforcer la distinction entre les deux régions dans lesquelles se déroulent une partie de l’action : la France et Jérusalem. En effet, une fois que les personnages ont quitté la France, la lumière devient très forte, lourde et harrassante :

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005

On pourrait donc peut-être expliquer ainsi l’importance des ambiances d’aube dans ce film. Cependant, Kingdom of Heaven est loin d’être une situation isolée. Quelques photogrammes tirés d’autres films nous en convaincrons :

Le nom de la rose, .J-J Annaud, 1986

Le nom de la rose, .J-J Annaud, 1986

Braveheart, M. Gibson, 1995

Le sang des templiers, J. English, 2011

Tristan et Yseult, K. Reynolds, 2006

Pourquoi cet intérêt pour ce type d’ambiance ? Selon moi, les atmosphères d’aube, avec leur fraicheur et leur silence permettent d’être davantage en prise avec l’environnement : les sons apparaissent plus nettement, les mouvements et les matières sont plus sensibles. Le spectateur est alors plus conscient de l’exotisme de la scène puisqu’il peut sentir et entendre des choses qui sont a priori très éloignées de son quotidien (le bruit des sabots du cheval sur la terre, l’épée que l’on range dans le fourreau, etc.). Ce type de séquence rapproche les personnages des spectateurs et amène du réalisme.

La récurrence de ce type d’ambiance, en grande partie construite par des effets de lumière, marque, me semble-t-il, l’esthétique cinématographique médiévale de la production américaine des décennies 1980-2010.

Scènes d’intérieur

En ce qui concerne les scènes d’intérieur, l’amélioration de la sensibilité des pellicules permet aux équipes de réalisation de construire des ambiances nettement plus intimistes qu’elles ne l’étaient dans les années 40-50 avec le Technicolor. Les lumières sont souvent chaudes et peu diffuses, comme pour imiter les lueurs de la chandelle (la lumière n’en devient alors que plus signifiante et métaphorique) :

Le nom de la rose, .J-J Annaud, 1986. L’auréole lumineuse sur le crâne de l’inquisiteur indique la présence de spots. Pourtant la lumière est beaucoup plus intimiste que dans d’autres films. On remarque de nombreuses ombres… très métaphoriques dans cette scène de procès.

Chair et sang, .P. Verhoeven, 1985. Eclairage qui construit une ambiance entre l’or et le rouge… entre la chair et le sang !

Robin des bois, .R. Scott, 2010. La lumière provient de la cheminée : un rendu très réaliste.

Le dernier des templiers, D. Sena, 2011. La lumière provient des torches : un rendu très réaliste.

Ces lumières plus intimistes sont aussi plus chaleureuses et rassembleuses car elles instaurent de la proximité entre les êtres : les corps semblent plus proches car rassemblés au sein du halo de lumière. Ce type d’éclairage est aussi plus sensuel et est d’ailleurs très utilisé pour les scènes d’amour : le Moyen Âge s’érotise par la lumière.

Brumes et fumées : un artifice utile, mais également esthétique et métaphorique

On ne peut qu’être frappé par l’abondance de brumes et de fumée lorsque l’on regarde des films des décennies 1980-2010 dont l’action se déroule au Moyen Âge.

La brume, c’est bien entendu celle qui accompagne les ambiances d’aube évoquées plus-haut. Quant aux fumées, ce sont celles de la vie de tous les jours (la fumée de la cheminée, la fumée de la forge, la fumée du repas, la fumée du cierge, l’encens qui brûle, la vapeur du bain, la poussière que l’on foule…etc.) mais aussi la fumée des explosions, celles des incendies et celles des immolations :

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005.

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005.

Kingdom of Heaven, R. Scott, 2005.

Chair et sang, .P. Verhoeven, 1985. Scène d’ouverture du film

Chair et sang, .P. Verhoeven, 1985. Scène d’ouverture du film

Le dernier des templiers, D. Sena, 2011.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur le caractère hautement esthétique de la fumée : lien entre l’ombre et la lumière, elle diffuse le mystère et autorise tout un tas d’extrapolations métaphoriques. La fumée peut constituer un obstacle à la diffusion de la lumière mais peut aussi la transformer. Lorsqu’elle est issue de l’encens, elle symbolise la spiritualité ; lorsqu’elle provient d’une explosion et qu’elle est épaisse et noire, elle diffuse dans l’image (et donc dans l’esprit du spectateur) l’idée de la saleté. La fumée empêche la netteté. Elle est un artifice. Elle convient bien en ce sens aux représentations du passé, car comme le disait Robert Bresson, il n’est pas nécessaire que les choses soient précises pour accéder à une bonne vision du Moyen Âge. La fumée est donc esthétique, très fortement métaphorique, mais aussi très utile pour le cinéaste : elle permet de dissimuler certaines choses (Robert Bresson disait d’ailleurs aussi que le cinéma est « l’art de ne rien montrer »[8]) et d’installer assez aisément une ambiance de trouble, artifice donc bien commode lorsque l’on cherche à mettre en image la période historique qui passe pour être une des périodes les plus « troublée » de l’histoire.

Lumières et couleurs : le travail de la matière.

Comparons le beau justaucorps vert d’Errol Flynn dans Les aventures de Robin des Bois et l’armure de Jean de Médicis dans Le métier des armes :

Les aventures de Robin des bois, M. Curtis, 1938

Le métier des armes, E. Olmi, 2002

D’un côté nous avons de belles couleurs et de belles matières (voyez cette cape en velours… sans parler du miracle des collants en nylon). De l’autre, une armure terne, humide et abimée. Certes, des choix costumiers ont été faits. Mais ne pourrait-on pas envisager que la lumière termine le rendu matière ?

Une forte luminosité rehausse les couleurs, met en valeur la matière et peut même rendre soyeux un vêtement. En revanche, une lumière blanche, bleutée ou bien tendant vers le vert assèche les couleurs et assombrit le vêtement. Ces deux lumières travaillent les costumes de manières bien différentes.

A partir des années 1980, la forte prédominance de ces lumières pales et bleutées, liée à une évolution dans le choix des costumes, entraine de grandes évolutions dans le rendu des matières dans les films dont l’action se déroule au Moyen Âge : les couleurs auparavant vives et chaudes sont devenues ternes. La société médiévale, mise en scène dans un environnement avec beaucoup de fumée, semble alors usée et fatiguée à l’image des couleurs dont les hommes et les femmes sont vêtus.

Conclusion

L’utilisation de la lumière dans les films dont l’action se déroule au Moyen Âge a connu de nombreuses variations. Sans rentrer dans les détails (ce dont je suis incapable) on pourrait grossièrement diviser le XXème siècle en quatre grandes périodes : les débuts du cinéma, jusqu’aux années 1930 avec une lumière très expressive qui théâtralise l’intrigue et les personnages ; une période entre les années 1930 et 1950 durant laquelle l’utilisation du technicolor oblige à sur-éclairer les séquences et durant laquelle la lumière n’est pas ou très peu signifiante ; une période entre les années 1950 et les années 1980 durant laquelle la lumière est peu travaillée ; et enfin des années 1980 à nos jours, où l’on perçoit un regain d’intérêt pour le travail de la lumière et l’installation d’ambiances particulières qui participent, à mon sens, de l’évolution de l’image qui est donnée du Moyen Âge.

En effet, selon moi, la « mise en lumière » du Moyen Âge révèle, en même temps qu’elle transmet, une vision de cette période historique. A l’époque du Technicolor, c’est le Moyen Âge des belles robes, dont les couleurs sont rehaussées par l’éclairage, et de l’amour courtois. Depuis les années 1980, les grosses productions hollywoodiennes (mais peut-être pas seulement celles-ci) montrent un Moyen Âge plus sale, sombre, trouble et fatigué : on retrouve l’idée des « ténèbres médiévales »[9]. Cependant, par le travail de la lumière et des ambiances, les hommes et les femmes du Moyen Âge nous paraissent plus proches. Par ailleurs, au-delà des images ternes qui nous sont proposées, les ambiances ainsi installées permettent de requalifier les destins des personnages : c’est parce qu’ils vivent dans ces ambiances que leurs exploits et leur quotidien n’apparaissent que plus admirables ! Très indirectement, les lumières permettent alors de mettre en valeur les idées, la morale et surtout la foi en Dieu (c’est assez flagrant dans les grosses productions hollywoodiennes) qui font se mouvoir les personnages.

Il serait intéressant de pouvoir comparer l’évolution de l’esthétique cinématographique médiévale à celle de l’antiquité : peut-être verrions-nous que les choses n’évoluent pas dans le même sens.

Léa Hermenault.


A lire également, sur ce blog :


[1] Ferro, M, Cinéma et histoire, Paris, 1993, p. 219

[2] « Quels sont les premiers souvenirs qui nous assaillent quand nous pensons à Richelieu ou à Mazarin sinon les aventures des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas » Ferro, M, Cinéma et histoire, Paris, 1993, p. 217-218

[3] Dans son ouvrage La lumière au cinéma, Fabrice Revault d’Allonnes cherche à étudier le langage lumineux. Il distingue donc plusieurs fonctions de la lumière au cinéma : la fonction dramatique de la lumière, sa faculté défigurante, son pouvoir néantisant, sa faculté à symboliser l’esprit ou encore à créer une atmosphère. Dans ce dernier cas, il parle de la « dimension atmosphérique » de la lumière au cinéma.

[4] Bonus du DVD : interview de Fabrice Hourlier

[5] Aumont J. , L’attrait de la lumière, Crisnée, 2010, p. 69

[6] Cette scène avec CE décor sont déjà présents dans le robin des Bois de 1923 avec Douglas Fairbanks. Mais cette fois-là, le lierre ne se contente plus de grimper le long du mur, il poursuit sa croissance à l’intérieur de la chambre

[7] Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, 1975 cité par Revault d’Allonnes Fabrice, La lumière au cinéma, Paris, 1991 : p. 40

[8] Conférence de Robert Bresson à Cannes en 1974

[9] Vauchez André, Lumières du Moyen Âge, discours à l’Institut de France en 2009.

2 réponses à Mettre en lumière le Moyen Age, tout un problème

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