Oyez, oyez…

Les derniers parchemins livrés chez vous par nos corbeaux.

Cinématograve ?

Hahahahaha… énorme cette vidéo [1] … ça a dû vous faire grincer des dents, vous, les historiens…

Oui, c’est vrai, on peut parfois être chiants comme ça (et même pire) lorsqu’on regarde un film historique.

Ah-ah ! Je le savais. Vous avouez. Vous êtes des casses-pieds ! Si c’est comme ça, je retourne chez ma mère lire du Max Gallo.

Attends. Revient Léon, j’ai les mêmes à la maison !

Ok, je veux bien attendre cinq minutes vos explications.

Très rapidement. On peut être comme ça. Mais la plupart du temps, les historienNEs ne passent pas leur temps à comptabiliser chaque anachronisme dans les films sur le mode « Tiens, il manque un bouton de manchette au troisième grenadier en partant de la gauche. » Non. Nous comprenons parfaitement qu’un cinéaste, pour des raisons pratiques, soit amené faire des raccourcis, à prendre quelques libertés. Après tout, le film est et doit rester une oeuvre de fiction.

Fin du débat donc.

Minute papillon. Je n’ai pas fini. Maintenant, il est tout aussi intéressant de comprendre le sens de certains anachronismes. Par exemple, le Robin des Bois (2010) de Ridley Scott veut absolument faire du bandit de Sherwood le fondateur de la démocratie anglaise (il serait l’inspirateur la Magna Carta de 1215). Aussi fausse soit-elle, cette idée à aussi une histoire, celle des révolutionnaires anglais du XVIIe siècle qui souhaitaient donner des origines médiévales à leur projet de monarchie constitutionnelle (je simplifie bien sûr), idée si ancrée dans l’imaginaire anglo-saxon qu’aujourd’hui on y croit encore aux Etats-Unis.

Ok. Donc, on ne dénonce plus, on explique.

Grumph ! Parfois, on peut aussi se fâcher ! Parce que voyez-vous, faire du passé un grand n’importe quoi où les siècles se mélange, c’est aussi une manière de dire que les sociétés anciennes n’évoluaient pas, quelles étaient figées, et d’opposer la notre qui serait la seule à évoluer. Bref, parfois, il faut savoir dire aux cinéastes qu’ils font n’importe quoi.

Bon, alors, entre un artiste et un historien, quel compromis ?

Simple. Les meilleurs films sont ceux qui réussissent à capter le sens d’une époque, d’un événement. Par exemple, on va sortir du Moyen âge si vous le voulez bien…

Ouf…

… pour prendre un autre film de Ridley Scott en exemple. Les Duellistes (1977), qui réussit parfaitement à montrer ce que pouvait être la notion d’honneur (et ses conséquences) pour des officiers napoléoniens (le film est tiré d’une nouvelle de Joseph Conrad, ceci explique sans doute cela). Scott s’est en plus adjoint les conseils d’un historien et d’un maître d’armes. Résultat : un petit chef d’oeuvre, avec un Harvey Keitel en très grande forme, le tout pour seulement 900 000 $. Trente-trois années plus tard, et avec un budget presque 200 fois supérieur, Scott nous offre (enfin, façon de parler pour ceux qui ne l’ont pas téléchargé) le Robin des Bois sus-cité, une plaie prétentieuse de plus de deux heures (ce qui m’ennuie car je reste un fan de Blade Runner).

D’accord. Sinon, y’a d’autres films qu’il faudrait voir ?

Oui, bien sûr. Ridicule (1996) par exemple (grâce auquel on pardonne à Patrice Leconte d’avoir commis les Bronzés 3), mais aussi le Lancelot du Lac (1974) de Robert Bresson. D’ailleurs, celui-ci s’exprime sur le rôle du film historique dans une courte interview. Il tacle justement l’illusion de la reconstitution. Pour lui, le film historique ne doit pas montrer, imposer une vision à grands coups de décors « plus vrais que nature » coûteux et de toute façon faux [2], mais suggérer et susciter un débat. Pas mal, non ?

Ouais… c’est ce que vous allez faire pour Bobines et Parchemins ?

Oui, c’est un des buts poursuivis, avec manger du pop corn… ah oui, la vidéo de Bresson.

 

William Blanc

  1. Précision, la vidéo n’a pas été réalisée par Bobines et Parchemins (on aurait bien aimé, mais non). Nous l’avons trouvée sur la toile via la page facebook du groupe « C’est pas histo »… merci en tout cas aux réalisateurs. Que leurs noms soient trois fois bénis par les moines aveugles des monts Kupalatüglü.
  2. Même les historienNEs les plus caléEs ne sauront JAMAIS ce qu’était la vie de tous les jours au Moyen âge par exemple. Tout au plus peuvent-ils l’imaginer dans une « fiction vraisemblable » comme l’explique (entre autres) le sociologue Bruno Latour dans La Fabrique du droit, Paris, 2004, page 9.
  3. Texte tiré à l’origine du site des Goliard[s].

2 réponses à Cinématograve ?

  • Marc dit :

    Ce qui est le plus intéressant dans cette vidéo c’est la brève apparition d’Alain Resnais qu’on n’a pratiquement jamais l’occasion de voir car il déteste se faire photographier et filmer. Quel plaisir aussi de revoir Gérard Blain un autre très grand talent du cinéma. Quand à Bresson, prétentieux et pontifiant, il pourrait avoir l’honnêteté de citer les sources de sa réflexion, c’est à dire Alfred Hitchcock qui, bien avant Bresson, a dit, expliqué et démontré de manière éclatante que « le cinéma ce n’est pas filmer des acteurs en train de parler ». Je ne suis pas sûr que Bresson aime vraiment le cinéma et « si tu n’aime pas ça, n’en dégoûte pas les autres ». « Devant un magnétophone et une caméra, personne ne s’en sert comme il faut » dit-il, faut vraiment avoir du culot !
    La force de l’art, c’est l’art, nous a dit Tarkowsky et chaque artiste a sa recette personnelle…
    Vive le cinéma !

    • william dit :

      Oui, tu as raison, Marc. Bresson se la raconte un peu. Mais n’empêche. Cette réflexion sur le lien cinéma-histoire (en gros, tenter de capter une époque plutôt que de vouloir à tout prix reconstituer) parle à pas mal d’historiens… en tout cas, ça annonce de sacrés débats pou le festoche !

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